"Pour un peu, il avait déjà enjambé le seuil, son pied était déjà en l'air, le gauche, ,sa jambe était déjà lancée en avant... quand il le vit. Il était posé devant sa porte, à moins de vingt centimètres du seuil, dans la lueur blafarde du petit matin qui filtrait par la fenêtre. Il avait les pattes rouges et crochues plantées sur le carrelage sang de bœuf du couloir, et son plumage lisse était d'un gris de plomb : le pigeon.
Il avait penché sa tête de côté et fixait Jonathan de son œil gauche. Cet œil, un petit disque rond, brun avec un point noir au centre, était effrayant à voir Il était fixé comme un bouton cousu sur le plumage de la tête, il était dépourvu de cils et de sourcils, il était tout nu et impudemment tourné vers l'extérieur, et monstrueusement ouvert ; mais en même temps il y avait là, dans cet œil, une sorte de sournoiserie retenue : et en même temps encore, il ne semblait être ni sournois, ni ouvert, mais tout simplement sans vie, comme l'objectif d'une caméra qui avale toute la lumière extérieure et ne laisse passer aucun rayon en provenance de son intérieur. Il n'y avait pas d'éclat, pas de lueur dans cet œil, pas la moindre étincelle de vie. C'était un œil sans regard. Et il fixait Jonathan."
Patrivk Süskind, Le Pigeon
Traduction de Bernard Lortholary
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire